Cartographie de rochers et voies de Fontainebleau

Préambule

La cartographie des blocs est l’une tâche les plus délicates dans le développement d’une application de topo d’escalade, le numérique imposant une exactitude géographique. C’est ainsi que je partage ici les enjeux et la méthode employée pour TopoBleau.

Topos papiers

Avant de commencer, un mot pour les topos papiers, du topo violet du couple Montchaussé aux topos Fun Blocs (David Atchison-Jones) et 7+8 (Bart Van Raaij), édition 2013. Et pendant longtemps où la grimpe s’effectuait au cœur des massifs, on a préféré les avoir aux pieds des blocs : lisible, indestructible, ne craignant ni les chocs, ni les chutes, ni les surfaces abrasives des rochers, ni la magnésie, ni les vols et les pannes de batterie ! Les topos papiers n’ont pas l’exigence géographique des topos numériques, bien au contraire, ils doivent s’en affranchir pour accroitre la lisibilité et intégrer des informations annexes qui permettent au grimpeur de se repérer : type de sol, les objets remarquables et les chemins, d’autant que la plupart des personnes ont un sens de l’orientation très perfectibles... Les topos papiers peuvent voire doivent volontairement déformer ou approximer les dessins des blocs ; et s’affranchir des vraies distances pour répondre aux contraintes spatiales des dimensions d’un livre (on peut certes faire des cartes immenses, mais replier une carte type IGN reste une compétence rare !... ).

Faire une cartographie, quel boulot !

  • Les performances du GPS d’un smartphone est de l’ordre de 5-10 mètres en milieu ouvert, et se dégrade fortement en milieu forestier ou dans un chaos de roches du fait des occultations des arbres ou du phénomène des multi-trajets du signal GPS entre les satellites et le téléphone. De surcroît, le récepteur GPS met un certain temps pour stabiliser la précision de la localisation, ce qui peut prolonger la procédure de localisation de milliers de blocs. 10-20 mètres d’erreur, c’est la moyenne observée en forêt, c’est suffisant pour se retrouver avec des blocs mal localisés, inversés en position, et finalement gêner la localisation d’un rocher. Lorsque ceux-ci sont isolés, ce n’est pas gênant mais au cœur d’un secteur dense ou d’un chaos rocheux, c’est très problématique.
  • L’homme n’a décidemment pas le sens de l’orientation : les coordonnées GPS ne suffisent souvent pas, il faut rajouter des informations de guidage GPS ou des indices visuels (arbre remarquable, rupture de pente, chemin, zone de sable, etc.).
  • En tant que cartographe, sans l’aide du GPS, il est difficile aussi de transcrire en plan ce que l’on voit : estimer la taille et la forme vue du ciel d’un rocher (et même sa hauteur), leurs éloignements respectifs, n’est pas naturel, c’est tout un métier, et c’est ce qu’il y a de plus dur et chronophage. Les travaux de David Atchitson (topos Fun Bloc) et de Jo Montchaussé (topos Escalade à Fontainebleau) sont à ce titre exceptionnel. Même s’ils ont possiblement été inspirés d’autres topos plus historiques comme ceux de bleau.info ou du Cosiroc ou de livres tels que « Fontainebleau, escalade et randonnée » ou autres, il n’en reste pas moins qu’il y a derrière un travail de titan.
  • Les images aériennes sont souvent une aide essentielle, principalement pour les sites dégagés : on peut exploiter les cartes satellites de Google, Apple ou de l’IGN et obtenir une précision d’une dizaine de centimètres pour la localisation et le dessin des rochers. Il subsiste 2 difficultés :
    • il y a un décalage de 1 à 2 mètres selon les sources : typiquement, on utilise les cartes de l’IGN pour localiser les rochers de TopoBleau mais il y a un décalage entre 0 et 2 mètres lorsqu’on affiche les rochers dans les cartes Google Maps utilisées pour l’affichage dans TopoBleau.
    • Vu du ciel, on ne peut estimer la hauteur des rochers quand leurs ombres ne sont pas visibles : il est donc pas toujours possible d’identifier un rocher de 30 cm de hauteur qui ne doit pas être dessiné d’un rocher de plusieurs mètres de hauteur.
  • Les rochers ont parfois une taille insuffisante pour afficher correctement les nombreuses voies présentes : dans TopoBleau, on fait parfois le choix d’agrandir ou simplifier artificiellement les rochers pour améliorer la lisibilité de la carte.

 

Comment est faite la cartographie pour TopoBleau ?

Elle est faite en 2 temps : d’abord la localisation des blocs puis le dessin des rochers.

La localisation des blocs a plusieurs sources :

  • Une carte fournie par le grimpeur Babi (onmywayto8a) qui m’a confié la localisation de plusieurs centaines de blocs, souvent parmi les plus paumés de la forêt.
  • Les nombreuses contributions des utilisateurs de TopoBleau, via l’application elle-même, avec ou sans photo (car quand le réseau ne passe pas, on ne récupère pas toujours la photo associée). En général là aussi, ce sont des blocs isolés au cœur de la forêt.
  • Et mes centaines de déplacements en forêt depuis 2016 : un secteur, c’est souvent entre 10 et 200 blocs géoréférencés selon la taille du secteur, via une version modifiée de l’application TopoBleau qui permet de mémoriser instantanément la photo, les coordonnées GPS, la précision de la localisation, ainsi que l’orientation de la voie lorsqu’on se positionne devant le bloc correspondant. On peut y modifier sa description, la liste des voies voisines, s’il est en départ assis ou dangereux, etc.
L’orientation sera affichée dans l’application, utile pour savoir si c’est un bloc orienté est (idéal le soir), plein sud (idéal en hiver), à l’ombre au nord (idéal en été) ou ouest (idéal le matin). Elle sert aussi à dessiner les rochers de façon cohérente, voir un peu plus loin.

Cette prise de vue et d’enregistrement des coordonnées prend en moyenne 1 journée pour un spot de taille moyenne, et certains blocs prennent à eux seuls 1 à 2 heures quand il est perdu au fin fond de la forêt et la description de son accès est un véritable jeu de devinettes.

Le dessin des rochers lui n’était pas prévu à l’origine et est arrivé en 2021 sous l’impulsion de Boolder qui a engrangé une popularité inédite grâce à ça.

L'arrivée du dessin des rochers

C’est l’une des tâches les plus difficiles de la cartographie comme on l’a vu précédemment. Or, sur la période 2016-2020, il y avait un équilibre naturel entre les différents acteurs :
  • bleau.info pour les données,
  • les topos papiers pour les circuits et blocs majeurs,
  • une application pour les coordonnées GPS de certains blocs déterminants :
    • position générale du spot (car avant l’avènement des applications, on passait parfois des heures à trouver le premier bloc d’un secteur !)
    • position des premiers blocs de chaque circuit (puis les topos papiers prenaient le relais)
    • et enfin la position des blocs isolés, hors circuits. Le topo 7+8 était la principale source d’information pour ceux-ci. Mais en vérité, on se perdait quand même très souvent en forêt, bien que cela faisait partie du jeu ! Souvent une vraie course d’orientation, qui s’est perdue depuis.
En 2016, il y avait FontNbleau sous Android, très complète, quelques applications sous iOS mais très limitées et pas encore 27crags et Boolder. Bref, offrir les coordonnées GPS des blocs étaient quelque chose de nouveau.

Arrivée en 2021, Boolder a créé cette envie d’avoir le dessin des rochers : c’était la principale remontée des utilisateurs de TopoBleau. Pour garder cette dynamique, et aussi parce que les grimpeurs de circuits sont plus nombreux que ceux des blocs isolés, et pour que tout le monde participe à l'effort collectif, les dessins des rochers ont été intégrés petit à petit.

Comment sont dessinés les rochers dans TopoBleau ?

Il y a 4 étapes :

  1. Les coordonnées GPS de TopoBleau sont injectés dans un fichier GeoJSon qui est ouvert dans JOSM (https://josm.openstreetmap.de).
  2. Quand l’image satellite est disponible, on y détoure les rochers de façon visuelle et on vient y coller les coordonnées des voies correspondantes. Lorsque le spot est principalement en forêt, les rochers sont simplifiés par des blobs génériques en exploitant les coordonnées GPS des blocs ainsi que leurs orientations.
  3. On utilise alors les topos existants pour vérifier la cohérence topologique, on fait appel aux centaines de photos du spot ainsi qu’aux orientations mémorisées à la capture pour reconnaitre la forme des rochers. Cette étape est la plus longue, il faut compter 1 journée de travail par spot.
  4. Une fois l’ensemble consolidée, le fichier GeoJSon corrigé est importé dans la base de données de TopoBleau.
Coquibus Arcade - positions initiales des blocs importées dans JOSM
Coquibus Aracade - positions initiales des blocs importées dans JOSM
Rocher Cassepot - dessin des rochers sous JOSM
Rocher Cassepot - dessin des rochers sous JOSM